Extrait d'une carte postale écrite pendant le processus de création.
Chère Annie,
Vous êtes la mémoire de ce lieu : ancienne élève et ancienne directrice de l’école Saint Joseph. Heureusement, ce n’est pas vous qui avez vécu sa fermeture. Vous étiez déjà à la retraite. Vous l’avez dit : ça m’aurait achevé. Nous nous sommes posés dans la cour et vous avez vous aussi refusé d’être enregistrée. C’est étonnant ce territoire où les gens ne souhaitent pas être entendus.
Avec vous, Annie, je comprends mieux la souffrance que la fermeture de l’école a provoquée. Elle a été soudaine. C’est une partie de l’histoire du village qui meurt. C’est un engagement de plusieurs générations qui s’achèvent.
Au bout d’un moment, posée sous l’acacia, la parole se libère. Vous êtes quand même joliment paradoxale, car d’un côté, vous acceptez que l’école mette la clef sous la porte, et de l’autre côté, vous trouvez que l’évêque n’a pas fait des choix très catholiques. Vous vous retenez de ne pas être vulgaire. C’est drôle. Vous me confiez même vos doutes de femme croyante. Vous dites que c’est vos parents qui vous ont donné la foi, mais aujourd’hui vous ne savez plus trop quoi en faire.
Bref ! Tout a une fin et l’école aussi. Mais la manière de faire a brutalisé tous les habitants d’Aspiran. Ils se sont organisés, ils ont fait une énorme pétition avec lettres et courriers à l’appui de tous les anciens élèves. A vous entendre, ça me tirerait presque une larme. Ces sœurs qui jouaient à la corde à sauter, qui montaient en robe noire à l’échelle et ces kermesses incroyables qui rameutaient du monde jusqu’à Toulouse, ce loto avec une mobylette à gagner !
Vous êtes vraiment un drôle de village. Tous les commerces ont baissé le rideau, de nombreuses habitations sont fermées, tombent ruine, le centre est déserté, on ne croise que des vieux qui vivent seuls et isolés dans des maisons immenses. Personne ne s’en offusque, mais attention ! Ne touche pas à mon école !
L’après-midi, j’ai fait un tour dans le cœur du village avec monsieur l’historien qui a la mémoire qui flanche. Il était fier de me montrer les traces de haches sur la porte de l’église quand les républicains ont voulu rentrer pour faire l’inventaire des biens au moment de la séparation état et religion. Les cathos enfermés à l’intérieur comme un siège contre les hérétiques.
Ce village est plein de surprise et de contradiction. La mairie, c’est l’ancien couvant collé à l’église. Tout est intimement lié dans l’histoire, dans les murs, dans les gens.
Maryline, la responsable de l’accueil municipal nous dit que c’est une bonne chose que l’école s’arrête. Située dans le fond d’une ruelle étroite, plus personne ne pouvait y accéder. Et puis voilà, faut sortir des tensions stériles, faut aller de l’avant. Mais l’avant, ça va où ? Ce n’est pas fait que la mairie rachète les murs, ce n’est pas acté. L’avocat mène toujours l’enquête pour faire sauter la clause des deux sœurs donatrices et ce n’est pas gagné, non, ce n’est pas gagné.
En attendant, Patrick des espaces verts est venu tout nettoyé. C’est sur, si on laisse faire la nature reprendra ses droits et recouvrera la mémoire de ce lieu. Elle l’avalera et le transformera en terreau. On n’y verra que du feu, on n’y verra que du vert.
Dieu serra un doute.