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Ici Maintenant dans le bocage sensible

Chère Sophie, Cher Fernand,

Vous nous attendez sur le chemin à côté de la Vierge. Fernand joue de sa bêche dans le pâturage, Sophie nous guette car on se perd sur la route.

Vous nous accueillez chez vous. Sur votre terre.

Nous voilà tout en haut de la bute, derrière la route, sous la vierge.

Le paysage immense s’offre à nous. Quelques kilomètres dans nos yeux. C’est assez pour que l’on sente l’âme de ce pays, de ce boccage bressuirais. Il nous apparait. Comme une maison qu’un peuple habite, entretient, arpente. Chaque champ est une pièce, chaque haie une cloison. D’habitude, nous travaillons avec un bâtiment qui nous pose une limite géographique pour faire notre portrait sonore et sensible. Là, seul l’horizon donne les limites à nos possibles.

Vous nous racontez votre parcours. Vous êtes tous deux natifs du coin et c’est un vrai choix d’être devenu paysans. Vous avez hésité entre agriculteur et paysan pour vous présenter et puis vous vous reprenez c’est bien paysan. Le système vous formate à dire que vous êtes agriculteurs, à dire que vous êtes exploitants agricoles, à dire que vous avez un nombre minimum de 100 hectares, un nombre minimum de 200 bêtes, à dire que vous avez un tracteur de tant de chevaux, que vous avez un taux d’endettement sur deux générations.

Non ! être paysan pour vous, c’est être raisonnable dans son implantation, c’est fonctionné en résonner pour ne pas se perdre. C’est faire le choix d’habiter sur son lieu de travail. La maison, c’est la ferme.

Le matin, vous vous levez, vous prenez le café en regardant la stabule par la fenêtre de la cuisine. Les enfants partent à l’école et pose le composte dans l’enclos des poules. Le jour, c’est marcher dans ses terres et utiliser au minimum le tracteur. La nuit, c’est avoir le babyphone dans la chambre pour venir assister le vêlage des veaux.
Être Paysans, c’est ne pas compter ses heures. Ne pas se tendre dans le rapport au temps.

Le bocage aide à ne pas trop s’étendre.

Vous êtes des paysans heureux et ça se voit. Du haut de vos 45 ans à tous les deux, vous avez fières allures, le regard doux, le visage clair, le sourire franc et surtout vous parlez de travail avec amour et passion.

Oh boy ! Ça fait du bien. Juste avant de vous retrouver, nous nous étions perdus et avons rencontré Jean Marie, maraicher, ancien exploitant agricole qui faisait de la chèvre comme il dit. Il nous raconte qu’un matin, il se lève et se dit, c’est soit je me jette du haut du pont soit j’arrête cette folie de la course à l’endettement et à l’expansion et je plante des carottes et des patates. Il a fait son choix. Un choix raisonnable. On ne se connait pas mais c’est dingue, il nous raconte tout ça tout de go comme si c’était un rescapé qui venait juste de repasser derrière la rambarde. Il m’a marqué ce bonhomme. En trois minutes il nous a résumé la situation et fait le tableau des petits agriculteurs qui sont invisibilisés !

Ce qui me marque avec vous deux, c’est que vous avez choisi dès le départ de ne pas rentrer dans le système. Vous avez choisi les chemins buissonniers, ceux que l’on empreinte pour aller d’un village à l’autre, ceux où l’on croise du monde qui avance à la vitesse de la marche à pied, ceux de l’entraide, de l’écoute et du respect.

Alors comment ça se fait que certains sont éclairés et que d’autres marchent sur la tête ?

On dort dans le gîte d’un agriculteur retraité, agriculteur ! Il a coulé du goudron devant chez lui. C’est plus pratique. Il passe la tondeuse pour pas que ça dépasse. Il a fait le stock de round up pour être tranquille jusqu’à la mort. On dort dans un gîte qui ressemble à une maison pavillonnaire sans âme. Sa grange est devenue totalement impersonnel.

Sophie, vous nous rappelez avec vos mots qu’ici vous n’êtes que de passage. Que vous empreintez la terre à vos enfants, et que quand le moment viendra de transmettre, il faudra qu’elle soit en bonne état notre terre, pour que l’on puisse marcher dedans sans se perdre ni disparaitre. Vous êtes élu à la commune. Le chemin d’une pensée résiliente est à remembrée mais là, en trois jours ici, on se dit que pour la majorité, il y a du boulot.

Olivier