Résidence à La Chartreuse d'Avignon
Semaine à La Chartreuse de Villenave les Avignon.
Journal de bord III
22 au 29 avril 2025
Rituel inversé. C’est Penda qui m’accueille en gare d’Avignon.
Les résidences se suivent et ne se ressemblent pas.
Nos valises roulent dans l’allée magistrale qui mène à ce lieu mythique. Nous prenons possession de nos cellules et, aussitôt, le lieu nous happe.
Huit jours pour ouvrir une brèche dans nos vies trépidantes. Huit jours pour prendre le temps.
Troisième semaine de résidence. Nous sommes pile à la moitié.
Nous ne sommes plus des inconnu·es.
L’espace de recherche qui nous est offert, nous le cultivons avec soin.
En parallèle, nous avons échangé avec l’équipe du festival de Chalon dans la rue. Il a fallu choisir un espace de présentation. Nous avons suivi nos intuitions. Nous nous projetons face à la Saône, devant le paysage ouvert d’une ville en effervescence. Nous avons choisi un écrin où notre parole pourra se faire entendre, un lieu qui évoque le désir de rejoindre l’autre rive pour embrasser la vie. Déjà, nous imaginons la rencontre avec les personnes venues découvrir la maquette. Que montrera-t-on ? S’agit-il simplement d’un espace pour évoquer la recherche, ce que nous avons patiemment tissé ensemble ? Ou bien est-ce un moment professionnel, une visibilité espérée en vue d’une production qui désormais s’affirme ?
Travailler dans l’espace public, c’est donner sens à chaque lieu.
À l’Agence de Géographie Affective, nous faisons le récit des lieux… dans les lieux.
Avec Penda, nos rituels d’écriture prennent appui dans l’espace même où nous nous trouvons.
Mais pour l’instant, nous mettons ces questions de côté.
La Chartreuse est peut-être le dernier temps sans pression.
Nous partons en balade, direction le Rhône.
Joie de ce rituel partagé.
Nous avalerons quelques dizaines de kilomètres en huit jours.
La pensée se déploie.
Notre espace d’écriture commun s’affirme, dans un paysage où nous nous inscrivons.
Nous écrivons face au fleuve pendant de longues cessions.
Qu’est-ce qu’un paysage ?
Nous réfléchissons à notre banc, abrité du vent.
Qui serait Savitri aujourd’hui ?
Nous flânons sur la terrasse du café, où la serveuse connaît désormais nos envies à chaque heure.
Quel désir les adolescents cultivent-ils pour prendre place dans le monde ?
Nous arpentons le fort qui ouvre grand notre horizon.
Qu’est-ce qui s’inscrit dans les murs qui arrivent jusqu’à nous ?
Nous explorons toutes les saveurs du glacier du centre.
Sorbet noix de coco ou pamplemousse ?
De jour comme de nuit, nous déambulons dans les couloirs de la Chartreuse.
Nous sympathisons avec Innocent VI, même si nous découvrons qu’il fut un bourreau.
Nous suivons le chat de la Chartreuse, empruntons un maximum de livres à la bibliothèque, faisons chauffer la carte bleue à la librairie. Nous échangeons lectures, recueils de poésie, pièces nocturnes, cartes postales virtuelles, et doutes. Nous épuisons nos sujets de conversation. Nous partageons le silence du lieu.
Le soir, autour des repas, nous côtoyons les autres résident·es :
certains écrivent des pièces de théâtre, d’autres rencontrent le dramaturge, l’un travaille un solo de clown, un collectif prépare une lecture.
Les échanges sont riches, les discussions m’ouvrent pleinement au monde de l’écriture dramatique.
Tout le monde s’étonne — et s’amuse — de nous voir toujours dehors.
— « Mais vous n’écrivez rien ? »
Le mythe de l’auteur·ice enfermé·e dans sa cellule, écrivant jour et nuit, ne correspond pas à notre démarche de recherche et de rencontre.
— « Nous sommes en relation avec le dehors. Le paysage est notre partenaire de jeu. »
— « Allez-vous lui donner la parole ? »
À la Chartreuse, le regard cherche l’horizon dans le ciel.
Sur le bord du Rhône, il suit le mouvement de l’eau.
Depuis le fort, il se perd dans l’immensité.
Dans ma cellule, une armée de fourmis traverse la terrasse de pierre.
Un autre monde m’invite à le suivre.
Je repars avec le désir de partager cette sensation qui nous a habités ici :
être là, pleinement.