Savitri à Vannes
Journal de bord
Lundi matin, fébrilité sur le quai de la gare.
J’attends Penda qui arrive par le train de Paris.
Je vais travailler toute une saison avec une personne que je ne connais pas encore.
C’est quand même un peu fou ce que l’on vit.
Bien sûr, nous avons échangé par mail, par visio, par what’s app, par tout ce que la technologie nous offre, mais nous ne nous sommes pas encore rencontrés en chair et en os.
La voilà qui descend sur le quai de la gare. Un rayon de soleil perce les nuages et je reconnais Penda tout de suite au milieu de la foule des voyageurs. Je m’avance vers elle et nous nous saluons. « Ça y est ! Nous y sommes. Bienvenue. Ce n’est pas rien. Tu as fait bon voyage. Il fait beau. Pas trop fatiguée ? »
Les premiers mots que l’on échange sur le quai d’une gare, est-ce que l’on s’en souvient… ?
Nous sommes attendus par l’équipe de la Scène Nationale de Vannes pour un pot d’accueil. Nous avons un trajet de dix minutes pour bavarder, créer le lien, prendre le pouls de l’autre… Livrer quelque chose de soi pour que l’autre nous découvre un peu plus dans sa part intime.
Nous nous retrouvons au pot d’accueil. L’accueil breton, l’accueil de cette équipe est incroyable. Elle vous met tout de suite à l’aise. Généreuse et attentive, elle s’amuse de la pudeur des premiers pas de notre rencontre. Je réalise encore une fois la chance incroyable d’être dans le dispositif Tandem. Il joue les agences de rencontre entre auteurs autrices !
L’après-midi, direction la mer. Penda et moi partageons un goût commun : marcher pour réfléchir. Résultat, 14 kilomètres avalés. Une façon idéale de faire connaissance, en s’appuyant sur le paysage pour raconter nos parcours, nos interrogations. Éreintées, mais ravies, nous rentrons avec le sentiment d’avoir ouvert la porte de nos univers respectifs.
Le lendemain, nous nous retrouvons dans la salle de travail. Nous rentrons dans le vif du sujet : l’écriture. Nous nous découvrons dans nos pratiques respectives en nous proposant un atelier d’écriture, de jeu, d’observation du réel, d’appui sur le hasard pour écrire ce qui nous vient. Nous nous sommes bien mis d’accord sur le fait que nous allions respecter le protocole de ce dispositif tandem : au diable la recherche d’efficacité immédiate, prenons le temps d’explorer nos univers et de les partager.
L’après-midi, nous rencontrons une classe de lycée. Des secondes.
L’équipe du théâtre et Penda se glissent dans l’auditorium pour me voir conter l’histoire de Savitri. 45 minutes où je m’amuse sur le plateau avec des élèves très curieux dans leur écoute. J’ouvre toutes les portes de l'histoire pour que Penda prennent la mesure du récit. Ensuite, il y a un échange ; un bord de scène pour venir interroger ces ados sur leur rapport à l’amour. Nous sommes étonnés de la grande maturité de ce groupe. Je retiens un élève qui nous dit que pour lui l’amour, c'est encore un peu vague vu qu’il est déjà à la découverte de son corps, de son potentiel et ses limites. Nous les retrouverons le vendredi matin pour un atelier d’écriture mené par Penda. Elle les invitera à écrire une lettre d’amour (au sens large du terme) à qui on veut (ça peut même être ton chat !) et subtilité de l’atelier ; on se met par deux et le tandem répond à la lettre écrite par son partenaire (cela veut dire que tu écris comme si tu étais le chat qui répond !!). J’avais envie de sonder la capacité de cette tranche d’âge à oser livrer quelque chose de soi, de sincère. Joie ! tout le monde à jouer le jeu et personne n’a été dans l’ironie ou le second degré. Hâte de voir les autres élèves que nous rencontrerons sur les autres résidences.
Le mercredi et jeudi, nous accueillons deux artistes circassiens de l’équipe de l’AGA que je pressens pour participer à la création du spectacle à partir de 2026. J’avais l’intuition que c’était important que Penda les rencontre au moins une fois pendant les résidences tandem, car ainsi, ils feront partie de notre imaginaire commun pour la suite de nos conversations. Nous avons donc travaillé sur nos histoires personnelles, notre rapport intime à l’amour. Nous nous sommes fait le récit de notre histoire familiale et personnel en appliquant une méthode d’écriture que j’ai apprise avec Yannick Jaulin dans le dispositif des Instants d’Eden. Comment faire en sorte que ce que nous écrivions et racontions en jeu soit intimement connecté à notre histoire et à qui nous sommes ? Nous avons fait quatre incroyables voyages dans nos quatre récits de vie.
Vannes nous a accueillies dans l’enceinte de ses murs, de son théâtre la dernière semaine de l’année 2024. Nous partons tous et toutes en vacances après cela. Penda m’accompagne sur le quai de la gare où mon train m’attend. Nous nous partageons la joie et le plaisir que nous avons pris durant cette première semaine à nous rencontrer et à démarrer le travail. Nous nous retrouverons à Chalon en février. Ce qui est sûr, c’est que nous démarrerons par une grande marche pour remettre nos pouls dans un rythme commun.